Rire, apprendre et regarder vers l’avenir
Sabina Vigani est en première ligne du programme TRECC depuis son lancement en 2015. Elle dirige une petite équipe en Côte d’Ivoire qui pilote les activités du programme permettant d’avoir un impact profond sur l’apprentissage et le développement des enfants. Pour accompagner la publication du rapport Réflexions, Enseignements, Prochaines Etapes, Sabina parle de son expérience personnelle en Côte d’Ivoire.
Originaire de Suisse, comment vous êtes-vous retrouvée en Côte d’Ivoire ?
C’est une longue histoire ! Je suis arrivée en Côte d’Ivoire en 2006 et j’ai travaillé avec plusieurs organisations dans les domaines de la démocratie, des élections et des droits humains. Je me suis lancée dans cette incroyable aventure avec TRECC en 2015 une aventure qui continue de me passionner.
Qu’est-ce que vous aimez en Côte d’Ivoire ?
Je crois vraiment que la caractéristique principale des Ivoiriens est leur formidable sens de l’humour. J’ai appris à chérir leur capacité à tout parodier, même dans les circonstances les plus difficiles. J’aime comment l’humour rend la vie plus joyeuse et comment il aide souvent à désamorcer les tensions sociales.
Le travail de TRECC consiste à améliorer les conditions de vie des enfants et des jeunes. Pourquoi ? Quelles sont les conditions de vie ?
La Côte d’Ivoire est un pays au potentiel socio-économique énorme. Pourtant, malgré les progrès réalisés au cours des dernières décennies, la Côte d’Ivoire reste dans le groupe des pays à faible développement humain. De nombreux enfants ivoiriens connaissent un départ difficile dans la vie, notamment en raison de la malnutrition, d’un retard de développement et de faibles opportunités éducatives.
Les faits donnent à réfléchir :
- 87,5% des enfants âgés de 6 à 23 mois n’ont pas un régime alimentaire minimum acceptable.
- 37,2% des enfants âgés de 36 à 59 mois ne se développent pas correctement.
- 85% des enfants n’ont pas accès au préscolaire.
- 59,5 % des enfants n’ont pas atteint le seuil minimal de compétence en lecture, et 82,8 % en mathématiques, à la fin de l’école primaire.
Au cours des cinq dernières années, TRECC a aidé le gouvernement de la Côte d’Ivoire à relever ces défis.
De quel aspect du programme TRECC êtes-vous professionnellement la plus fière ?
TRECC a su établi la confiance, une solide réputation et des relations constructives avec nos différents partenaires. Cela ne doit pas être sous-estimé étant donné que la Fondation Jacobs était, il y a cinq ans, pratiquement inconnue du gouvernement de la Côte d’Ivoire et des autres donateurs dans le domaine de l’éducation. En tant que nouveau venu disposant de fonds importants, nous avons dû gérer à la fois les attentes et les sensibilités. Nous avons dû démontrer que notre engagement était authentique, à long terme, et que notre valeur ajoutée allait au-delà du capital financier pour inclure l’expertise et un vaste réseau d’experts.
Nous avons également dû démontrer aux entreprises du secteur du cacao et du chocolat les avantages d’investir dans le développement de la petite enfance et dans la qualité de l’éducation. Grâce aux recherches commanditées par TRECC, nous avons pu générer un nombre croissant d’évidences qui démontrent le lien entre une éducation de qualité et une réduction du travail des enfants.
Sur une note personnelle, je suis très fière que l’état d’esprit expérimental et entrepreneurial avec lequel nous avons commencé le voyage TRECC ait perduré. Il n’y avait aucun modèle ni canevas pour quoi que ce soit lorsque nous avons commencé ! La mise en place d’opérations dans un pays était une première pour la Jacobs Foundation, tout comme la signature de partenariats avec des entreprises privées ou encore l’élaboration d’un protocole d’accord avec le gouvernement. Cinq ans plus tard, nous continuons à innover, comme en témoigne le Child Learning and Education Facility (CLEF), une initiative à venir impliquant le Gouvernement de la Côte d’Ivoire, Jacobs Foundation, UBS Optimus Foundation et 15 entreprises mondiales du cacao et du chocolat.
Quelles histoires pouvez-vous partager, qui vous ont le sentiment que votre travail avait un sens et avait réellement touché la vie des bénéficiaires ?
L’un de mes moments les plus gratifiants a été d’observer des enfants enthousiastes bénéficier d’interventions éducatives et se sentir fiers de leurs progrès d’apprentissage. J’ai vu par exemple dans le programme PEC (Programme d’Enseignement Ciblé) des enfants tellement enthousiasmés par la méthodologie engageante et ludique qu’ils demandaient à leurs enseignants d’abréger la récréation pour pouvoir retourner en classe et pratiquer le PEC ! Il a été tout aussi gratifiant d’entendre comment les enseignants se sont sentis mieux outillés et valorisés en appliquant des pratiques d’enseignement innovantes qui les ont aidés à maîtriser le processus d’apprentissage, à soutenir les besoins individuels des enfants, pour finalement améliorer les résultats d’apprentissage.
Discuter avec les parents et les personnes s’occupant des enfants impliqués dans les sessions d’éducation parentale a été révélateur de la façon dont le partage des connaissances peut conduire à un changement de comportement. J’ai rencontré un père d’une communauté rurale isolée de l’ouest de la Côte d’Ivoire qui m’a dit que sa relation avec son enfant avait été transformée grâce au jeu et à une discipline positive. Et une jeune mère d’une petite fille de 6 mois m’a fièrement expliqué qu’elle avait appris comment le fait de parler, de chanter et de stimuler activement un bébé pouvait favoriser le développement de son cerveau. Cette mère avait commencé à interagir plus fréquemment et plus consciemment avec son bébé, et à sensibiliser ses proches et ses amis.
Une dernière anecdote concerne l’Inspecteur Général Coordonnateur Général de l’Education nationale, le plus haut fonctionnaire du Ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation. Nous avons visité ensemble quelques écoles qui appliquent le programme PEC, conçu pour aider les enfants en difficulté d’apprentissage en lecture et en mathématiques. Dans l’une des écoles, un enseignant a demandé à des élèves de CE1 (troisième année du primaire) de lire une courte histoire à haute voix. Les élèves lisaient couramment, montrant qu’ils comprenaient ce qu’ils lisaient. L’Inspecteur Général soupçonnait que les élèves connaissaient l’histoire par cœur ; il a donc sorti un autre texte de son sac et a demandé aux enfants de le lire. Les enfants n’ont rencontré aucune difficulté à lire le nouveau texte ! L’Inspecteur Général était visiblement surpris et débordant de joie. Il est maintenant l’un des plus fervents promoteurs du programme PEC à l’échelle nationale.
Regardant l’avenir, vous vous réjouissez de quels changements dans les cinq prochaines années ?
Nous avons travaillé depuis 2016 en vue de poser les bases pour obtenir un impact durable à l’échelle nationale. Nous avons commencé petit mais avec une vision d’échelle dès le départ. Nous nous sommes engagés dans un parcours de « mise à l’échelle » avec une phase pilote qui nous a permis d’identifier les solutions les plus prometteuses sur la base d’évaluations indépendantes rigoureuses, pour ensuite soutenir une phase d’extension avec une plus grande appropriation par le gouvernement et un plus grand nombre d’écoles et de communautés impliquées.
Il nous a fallu beaucoup de courage et de persévérance pour parcourir un chemin long, mais nécessaire, afin d’être sûrs d’investir dans les interventions les plus efficaces en matière d’éducation et de développement de la petite enfance. Mais maintenant, nous sommes prêts à passer à l’échelle ! Nous avons identifié les interventions les plus efficaces et mobilisé un financement important. J’ai hâte de voir les résultats de l’apprentissage s’améliorer radicalement au niveau national d’ici 5 ans.
Sabina Vigani travaille avec la Fondation Jacobs depuis 2014 et a piloté la mise en œuvre de l’initiative TRECC en Côte d’Ivoire. Avant de rejoindre la fondation, elle a travaillé avec plusieurs organisations dans les domaines de la démocratie, des élections et des droits de l’homme. Les domaines d’expertise de Sabina sont: le dispositif international de protection des droits de l’homme, les processus électoraux, le soutien aux systèmes éducatifs, la gestion de programmes et la facilitation de processus complexes.