Rapport mondial de suivi sur l’éducation : Implications pour l’éducation inclusive en Côte d’Ivoire
Sabine Nguini est Responsable de programme senior pour l’Afrique de l’Ouest au Groupe des partenariats éducatifs (EPG). Dans cet article, elle met en évidence trois recommandations clés pour l’éducation inclusive en Côte d’Ivoire, dans le contexte de la Covid-19.
Le 14 septembre 2020, les élèves de Côte d’Ivoire, l’un des pays où nous soutenons le gouvernement dans sa quête d’amélioration de son système éducatif, ont entamé la nouvelle année scolaire. Comme à chaque rentrée scolaire, il y a eu beaucoup d’excitation parmi les étudiants désireux de retrouver leurs instituteurs et leurs amis. Toutefois, cette rentrée scolaire est la première qui se déroule dans le contexte de la pandémie mondiale de Covid-19, une crise sanitaire qui met à rude épreuve le système éducatif de la Côte d’Ivoire et son ambition d’offrir une éducation de qualité à tous les enfants.
En effet, depuis la mi-mars, date de la fermeture des écoles, les élèves ont dû recourir à l’enseignement à distance pour poursuivre leurs études. Si les cours dispensés en ligne, à la télévision ou à la radio sont devenus la norme pour beaucoup, tous les élèves n’ont pas pu en bénéficier. Bien qu’il n’existe pas encore de données rigoureuses sur la portée et l’impact de l’enseignement à distance dans la région, les spécialistes prévoient que cette crise sanitaire exacerbe le déséquilibre entre les « nantis » et les « démunis », car les familles les plus instruites et les plus riches seront mieux à même de soutenir l’apprentissage de leurs enfants à la maison ?1 Il est donc d’autant plus important que le gouvernement garantisse une éducation inclusive lors de cette réouverture des écoles.
Le rapport du Global Education Monitoring (GEM) publié en juin 2020 rappelle à point nommé l’importance de garantir l’éducation pour tous. Bien qu’il souligne les défis que les gouvernements doivent relever pour assurer une éducation inclusive, il existe désormais un nouveau contexte dans lequel leurs recommandations devraient être appliquées : la Covid-19. Plus important encore, de cette pandémie sans précédent émerge un nouveau groupe d’étudiants marginalisés, qui sont maintenant exclus de l’éducation parce qu’ils n’ont pas pu apprendre par le biais de l’enseignement à distance, ou parce que leurs parents n’ont plus les moyens de les scolariser ou parce que ces derniers ont besoin que leurs enfants contribuent au revenu familial pour compenser la perte de revenu. Ce document de réflexion examine la pertinence de trois des recommandations du rapport GEM appliquées à la Côte d’Ivoire et dans l’environnement actuel de la Covid-19.
De cette pandémie sans précédent émerge un nouveau groupe d’étudiants marginalisés, qui sont maintenant exclus de l’éducation parce qu’ils n’ont pas pu apprendre par le biais de l’enseignement à distance, ou parce que leurs parents n’ont plus les moyens de les scolariser ou parce que ces derniers ont besoin que leurs enfants contribuent au revenu familial pour compenser la perte de revenu.
Recommandation 1: Equiper, responsabiliser et motiver le corps enseignant afin que tous les enseignants soient en mesure de prodiguer des cours à tous les élèves
L’inclusion ne peut être réalisée que si les enseignants sont outillés pour donner des cours en adéquation avec le niveau de chaque enfant. Cette année scolaire, les enseignants sont confrontés à trois types d’élèves : 1. Les élèves qui sont à jour parce qu’ils ont pu poursuivre l’apprentissage malgré l’arrêt des cours en présentiel ; 2. les élèves qui peuvent avoir besoin de réviser certaines leçons parce que, bien qu’ils aient suivi les cours à distance, ils n’ont peut-être pas été aussi réceptifs à cette nouvelle approche d’enseignement ; et 3. les élèves qui accusent un sérieux retard. Non seulement ils ont perdu près de trois mois d’apprentissage parce qu’ils ne pouvaient pas suivre les cours à distance, mais ils ont également perdu des acquis antérieurs. Tous ces étudiants pourraient bien se retrouver dans la même classe, ce qui laisserait aux enseignants le soin de trouver le meilleur moyen d’uniformiser les méthodes d’apprentissage, tout en veillant à ce qu’ils apprennent et progressent dans leur cursus académique.
La Côte d’Ivoire a déjà mis en place plusieurs initiatives visant à soutenir les enfants en difficulté d’apprentissage. Il existe par exemple, dans certaines localités, des « classes passerelles » qui dispensent un enseignement accéléré aux enfants de 9 à 13 ans déscolarisés ou qui ne sont jamais allés à l’école, afin de les aider à réintégrer le système éducatif classique2. Il existe également le Programme d’Enseignement Ciblé (PEC) mis en œuvre par le Ministère de l’Education Nationale avec l’appui technique de TaRL Africa. . Le PEC est basé sur l’approche Teaching at the Right Level (TaRL), une approche de remédiation largement éprouvée qui consiste à enseigner aux élèves en fonction de leur niveau d’apprentissage plutôt que de leur âge ou de leur niveau scolaire. En s’appuyant sur ces initiatives, la Côte d’Ivoire a la possibilité de ne pas se contenter de ramener les élèves en classe, mais de réfléchir à la manière dont les enseignants et leur pratiques pédagogiques peuvent être adaptés à l’ère de la Covid-19 pour inclure les nouveaux groupes marginalisés et veiller à ce qu’ils ne prennent pas davantage de retard.
Recommendation 2: Target financing to those left behind as there is no inclusion while millions lack access to education
Offrir une éducation inclusive est une entreprise coûteuse. En 2018, les dépenses de la Côte d’Ivoire en matière d’éducation représentaient 4,37 % de son PIB, alors que la moyenne mondiale était de 4.17%3. Rien qu’au niveau de l’enseignement secondaire, entre 2012 et 2019, les subventions aux écoles privées pour assurer l’enseignement pour tous sont passées de 17 164 320 000 FCFA (USD 30,945,0004) à 72 520 080 000 FCFA (USD 130,744,0005)6. Pourtant, malgré cet engagement financier considérable du gouvernement, cette année, jusqu’à 1,6 million d’enfants ivoiriens âgés de 6 à 16 ans n’étaient pas scolarisés7.
Avant cette pandémie, le gouvernement de Côte d’Ivoire s’efforçait d’octroyer des subventions aux écoles privées pour couvrir les frais de scolarité des élèves du secondaire orientés par l’Etat dans ces établissements, faute d’infrastructures publiques en nombre suffisant, et tenir ainsi sa promesse d’un enseignement secondaire gratuit pour tous. L’impact économique des mesures de confinement et de distanciation sociale a affecté les moyens de subsistance de nombreuses personnes, augmentant ainsi le nombre de ménages qui auront besoin de subventions publiques pour maintenir leurs enfants à l’école, en particulier pour couvrir les coûts nécessaires au-delà des frais de scolarité. Plus que jamais, il est impératif que le gouvernement reconsidère son approche du financement de l’éducation, en assurant l’efficacité et l’efficience en ciblant et en atteignant ceux qui en ont le plus besoin. Le travail en cours que nous, au sein du Groupe de partenariat pour l’éducation (GPE), effectuons pour informer une réforme potentielle du programme de subventions aux écoles secondaires en Côte d’Ivoire, est un bon exemple de possibilités de réforme qui ont le potentiel de garantir que le financement de l’éducation en Côte d’Ivoire cible tous ceux qui sont laissés pour compte, y compris ceux qui ont été récemment rendus vulnérables par cette pandémie.
Recommandation 3: Recueillir des données sur et pour l’inclusion avec attention et respect, en évitant les étiquettes stigmatisantes
Comme le souligne le rapport GEM, les données sont essentielles pour soutenir l’inclusion dans l’éducation car elles peuvent mettre en évidence les lacunes dans les opportunités liées à l’éducation et identifier ceux qui risquent d’être laissés pour compte. Elles peuvent également aider les gouvernements à élaborer des politiques fondées sur des données probantes et à suivre leur mise en œuvre.
La Covid-19 devrait, espérons-le, devrait inciter les gouvernements à revoir leur approche en matière de collecte de données et de suivi, car la vulnérabilité et l’inclusion sont en train d’être redéfinies et les interventions doivent être davantage adaptées. Au-delà de la collecte de données sur les catégories standard d’inclusion et de leur utilisation pour éclairer l’approche du gouvernement en matière d’éducation pour tous, la Côte d’Ivoire devra maintenant recueillir des données qui lui permettront de mieux saisir le paysage de l’exclusion. Par exemple, ils devront comprendre :
- Qui sont les « nouveaux » marginalisés ?
- Quelles sont les caractéristiques qui les définissent ?
- Quels sont les obstacles à leur inclusion ?
Pour que les politiques soient réellement inclusives à l’avenir, elles devront refléter l’impact de Covid-19 sur la vulnérabilité et l’exclusion.
Des leçons doivent également être tirées des processus pédagogiques qui fonctionnent à l’intérieur et à l’extérieur de la classe et adapter ceux-ci pour répondre aux besoins des nouveaux marginalisés. Si ces élèves ne sont pas spécifiquement ciblés, le risque existe que toute une génération continue à prendre du retard dans les apprentissages, alors que les plus chanceux continuent à progresser.
Nous vivons à une époque incertaine, où la notion de vulnérabilité est redéfinie chaque jour et où les gouvernements sont mis au défi de penser à l’inclusion de manière créative mais aussi de manière plus structurée pour inclure les nouveaux groupes exclus dû à la Covid-19. Les recommandations formulées dans le rapport du GEM tracent une voie efficace vers l’inclusion, à laquelle le gouvernement de Côte d’Ivoire devra intégrer les implications de la Covid-19, garantissant ainsi véritablement qu’aucun élève ne sera laissé pour compte.
Références
- Banque Mondiale. Mai 2020. The COVID-19 Pandemic: Shocks to Education and Policy Responses. https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/33696/148198.pdf?sequence=4&isAllowed=y
- MENETFP. Juin 2017. Rapport final – Atelier de revue et d’Harmonisation de l’approche classe passerelles. https://dpfc-ci.net/wp-content/uploads/dpfc_fichiers/2017-2018/modules/Atelier_Classes_passerelles_Rapport_final-1.pdf
- The Global Economy. Ivory Coast : Education spending, percent of GDP. https://www.theglobaleconomy.com/Ivory-Coast/Education_spending/
- Sur la base du taux de change sur Oanda 09/09/2020.
- Idem
- Francis Akindes, Séverin Kouame, Walter Kra, Parfait N’Goran and Gningniminni Daouda Yeo. September 2020. Enquête initiale sur les frais d’écolage du premier cycle du secondaire privé en Côte d’Ivoire.
- Abidjan.net. Juillet 2019. Côte d’Ivoire : 1,6 million d’enfants de 6 à 16 ans en dehors du système scolaire (UNICEF). https://news.abidjan.net/h/659793.html
Sabine Nguini is a Senior Programme Manager for West Africa at Education Partnerships Group (EPG).