Entrevue avec Seedstars : comment préparer les jeunes générations au marché du travail futur?

L’ère actuelle se définit par l’émergence de technologies innovantes. Nous vivons à une époque où le numérique fusionne avec le physique et où les robots sont capables d’effectuer des opérations sur le cerveau humain. Cette époque exige des approches complètement révolutionnaires de la scolarisation et de l’éducation – des approches qui commencent dès l’âge de 2 ou 3 ans. Alors, comment préparer les enfants d’aujourd’hui à la « renaissance technologique » à laquelle nous assistons ? Comment les préparer aux défis mondiaux ? Comment pouvons-nous améliorer la qualité de l’éducation dans les pays en développement qui connaissent d’importantes transformations sociales et économiques ?
Seedstars s’est récemment entretenue avec Sabina Vigani, directrice pays à TRECC, et Catherine Seya, responsable technique en développement de la petite enfance, au sujet de l’avenir de l’éducation en Afrique et dans le monde.
Comment envisagez-vous l’avenir de l’éducation en Afrique?
C.S. La réduction de l’écart entre la situation sociale et économique de l’Afrique et celle de l’Occident, ou d’autres régions émergentes, dépend largement des performances et de la pertinence de son système scolaire dans les années à venir. Tout d’abord, en termes de prestation de services, les nations africaines devront veiller à ce que l’accès à une éducation de qualité s’améliore considérablement compte tenu de l’augmentation rapide de la population à laquelle le continent assiste. Il est important de noter que la qualité de l’éducation est tout aussi importante que l’accès.
L’accès sans qualité compromet les investissements dans le secteur et ne génère que des gains limités. La Côte d’Ivoire, et plus largement le continent, a connu une augmentation des taux de fréquentation scolaire au cours des deux dernières décennies. Toutefois, la massification des élèves s’est accompagnée de nouveaux défis, tels que des classes surchargées, des manuels insuffisants, des enseignants démotivés, pour n’en citer que quelques-uns. En conséquence, les enfants sont plus nombreux à fréquenter l’école, mais ils n’apprennent pas. A titre indicatif, l’évaluation nationale de 2019 montre qu’à peine 19 % des enfants de troisième année ont atteint un niveau suffisant en lecture. Nous devons nous assurer que l’enseignement est efficace et que les enfants apprennent.
Deuxièmement, et c’est très important, le contenu enseigné dans les écoles doit être pertinent pour les économies locales, mais il doit également doter les jeunes de compétences et de connaissances pertinentes. Il doit permettre aux élèves d’embrasser les tendances mondiales, telles que la croissance rapide des technologies, de s’adapter dans un monde en mutation rapide et de faire face aux problèmes mondiaux tels que les soins de santé, l’énergie et les défis du développement.
Une éducation de qualité est fortement liée à la création d’emplois et aux taux d’emploi. Elle déterminera donc de manière significative la performance du continent quant à l’économie mondiale dans 10, 20 et 50 ans.
Comment l’expérience d’apprentissage va-t-elle se transformer, à votre avis, compte tenu de la croissance rapide des technologies?
S.V. La crise actuelle de COVID-19 fournit un exemple frappant de la façon dont la technologie a déjà transformé l’expérience d’apprentissage. Dans de nombreux pays européens, l’enseignement à domicile a remplacé la salle de classe physique presque en un clin d’œil. Les enseignants téléchargent des programmes en ligne et les parents envoient aux enseignants les tâches une fois qu’elles sont terminées. Même avant cette crise sanitaire sans précédent, d’innovantes entreprises sociales œuvrant dans les pays africains ont développé des technologies éducatives à bas prix, accessibles sur des téléphones portables, comme dans le cas d’Eneza Education.
Plus fondamentalement, la technologie modifie la relation entre l’enseignant et l’élève. Une grande partie des informations que seuls les enseignants possédaient est désormais accessible en ligne aux étudiants. Le rôle de l’enseignant évolue vers celui d’un facilitateur ou d’un coach. Quant aux étudiants, ils ne se contentent plus de consommer des connaissances, mais contribuent à leur création. La technologie permet également d’approfondir l’expérience d’apprentissage en créant des expériences plus personnalisées et autonomes pour les étudiants.
Comment les écoles africaines peuvent-elles s’adapter aux défis du marché mondial? Comment peuvent-elles combler le déficit de compétences?
S.V. Au cours des 20 dernières années, les pays d’Afrique subsaharienne ont réalisé des progrès significatifs en matière de réduction de la pauvreté et d’accès à l’éducation. Entre 1984 et 2014, les dépenses publiques pour l’éducation ont été multipliées par sept en moyenne. Pourtant, la main-d’œuvre est la moins qualifiée au monde. Pour renforcer leur capital humain et combler le déficit de compétences, les pays d’Afrique subsaharienne devraient commencer par augmenter les investissements dans les premières années et assurer l’acquisition de compétences de base.
Dans la plupart des pays africains, le déficit de compétences commence en effet à se creuser dès le plus jeune âge, car une grande majorité d’enfants connaissent un début de vie difficile, souffrent de malnutrition chronique et manquent de stimulation adéquate pour soutenir le développement des compétences socio-émotionnelles et cognitives. Cette situation entrave la volonté d’apprendre avant même que les enfants n’entrent dans le système scolaire formel. Le fossé des compétences continue de se creuser car la plupart des enfants ont du mal à acquérir des compétences en lecture, écriture et calcul à l’école primaire.
Pour remédier à cette situation, les pays devraient se fixer comme priorité de s’attaquer à l’absentéisme et à la responsabilisation des enseignants, ainsi qu’à l’amélioration des pratiques d’enseignement. Lorsque les jeunes accèdent à l’enseignement technique et à la formation professionnelle, les programmes sont souvent mal adaptés aux besoins du marché du travail et ne tiennent pas compte des lacunes existantes en matière de compétences de base et d’autres compétences requises pour faire face à l’évolution rapide des emplois. Ce décalage souligne le besoin pressant pour le gouvernement de concevoir un programme de compétences afin de s’engager avec les différentes parties prenantes, telles que les familles et les aidants, qui jouent un rôle essentiel dans les premières années d’un enfant, et le secteur privé pour des apports pertinents lorsqu’il s’agit de programmes de formation.
Chaque pays africain a son propre contexte politique, économique et culturel, mais pourriez-vous nous indiquer quelques points communs en matière d’éducation sur l’ensemble du continent? Quels sont les principaux défis à relever en 2020?
C.S.
- Une croissance démographique rapide.
- Des disparités apparaissent en raison d’une qualité non standardisée (la qualité diffère selon les écoles) et d’un accès inéquitable.
- Un contenu et des processus de mauvaise qualité (par exemple, des programmes d’études dépassés, du matériel inadéquat, des enseignants mal formés, une mauvaise gestion des écoles, etc.)
- Coûts indirects/coûts d’opportunité de la fréquentation scolaire, en particulier dans les zones rurales.
- Crises politiques, sociales et environnementales.
- Mauvaise qualité de l’environnement des infrastructures physiques (entretien, surpeuplement, assainissement, etc.).
- Divergences entre les politiques nationales et leur mise en œuvre effective.
Imaginez que vous ayez un super-pouvoir pour changer deux choses dans le système éducatif en Côte d’Ivoire, que changeriez-vous immédiatement?
C.S Premièrement, je mettrais en place un système de rémunération fiable et bien réglementé, basé sur les performances, pour récompenser les enseignants performants en fonction des résultats d’apprentissage des enfants, et en faire des modèles dans tout le pays.
Deuxièmement, je veillerais à ce que les cantines scolaires, en particulier dans les zones rurales, soient fonctionnelles tout au long de l’année scolaire avec une contribution symbolique des parents.
Quel est votre exemple préféré (ou quelques-uns) d’innovations ou d’approches efficaces dans le domaine de l’éducation, de préférence un qui se soit réalisé dans le contexte africain?
C.S. Voici une liste de mes exemples préférés actuels :
- ABC-Code au Cameroun : Cours de codage et de robotique pour les enfants dans leur langue maternelle.
- Educlick : Banque en ligne de questions pratiques basées sur le programme scolaire.
- École Lindkey en Côte d’Ivoire : Volet entrepreneuriat gratuit pour les programmes scolaires existants.
- Eneza Education au Kenya, en Côte d’Ivoire et au Ghana : Une solution qui fournit, à un coût abordable, du matériel de révision et d’apprentissage via des téléphones à fonctions de base.
- Science Set au Ghana, au Kenya, en Afrique du Sud et en Zambie : Ensemble d’outils scientifiques portables et abordables pour la pratique des cours scolaires.
Selon vous, quelle est la réalisation la plus significative de TRECC en Afrique, et plus particulièrement en Côte d’Ivoire?
S.V. Au cours des dernières années, TRECC a réuni le gouvernement de la Côte d’Ivoire, 12 entreprises de l’industrie du cacao et du chocolat, trois organisations philanthropiques et 20 organisations de la société civile pour améliorer la qualité de l’éducation dans le pays. Ce partenariat public-privé a mobilisé des capitaux financiers et intellectuels pour aider le gouvernement de Côte d’Ivoire à poursuivre deux de ses objectifs stratégiques : assurer un bon départ dans la vie et offrir une éducation de qualité à tous les enfants. Lors du lancement de TRECC, peu de gens pensaient que nous réussirions à réunir un groupe d’acteurs aussi divers, avec des missions et des intérêts très différents. Pourtant, l’écosystème de TRECC s’est progressivement constitué et démontre la valeur des efforts de collaboration pour soutenir les changements à l’échelle du système.
Selon vous, quelle est la plus grande valeur de la coopération entre TRECC et des organisations telles que Seedstars?
S.V. Nous partageons avec Seedstars la passion de l’esprit entrepreneurial et la conviction que les entrepreneurs peuvent produire des solutions innovantes abordables pour améliorer les conditions de vie sur les marchés émergents. Seedstars parcourt le monde pour identifier des acteurs du changement talentueux et des start-ups qui développent des solutions pour répondre aux nombreux défis des systèmes traditionnels d’éducation. Avec le Transforming Education Prize, TRECC veut célébrer la créativité, la détermination et le professionnalisme de ces jeunes acteurs de changement qui contribuent à réaliser la promesse de l’éducation.