Lutte contre le travail des enfants, comment élargir la couverture et l’impact ?
Irina Hotz, co-responsable des sociétés d’apprentissage à la Fondation Jacobs, a participé à une session sur l’autonomisation des communautés lors de l’édition 2020 de la Conférence des partenaires de la Fondation mondiale du cacao. Dans le présent article, elle partage ses expériences dans le domaine de l’éducation en Côte d’Ivoire et explique comment les enseignements tirés pourraient être utiles dans le cadre de la réflexion sur la lutte contre le travail des enfants et l’amélioration du bien-être général des enfants.
Comment tout a commencé
Au cours de la Conférence des partenaires de la Fondation mondiale du cacao, j’ai participé à une session sur les leçons apprises de l’action en faveur du cacao qui m’a renvoyé en 2016. C’était la première fois que nous, en tant que Fondation, commencions à interagir avec l’industrie du cacao et du chocolat. Nous avions récemment lancé notre plus grand programme national jamais mis en place, appelé TRECC, Transformer l’Education dans les Communautés de Cacao, doté d’un budget de 50 millions de francs suisses afin de mobiliser un écosystème d’acteurs divers dans le but commun d’offrir à chaque enfant un bon départ dans la vie et la possibilité de développer pleinement son potentiel grâce à une éducation de qualité.
Nous savions que nous ne pouvions pas changer la donne seuls et avons réalisé qu’avec le lancement de Cocoa Action, les acteurs de l’industrie du cacao et du chocolat étaient en mesure d’apporter des changements à grande échelle. Nous avons pensé qu’il y avait un chevauchement évident des objectifs, car l’éducation donne aux enfants la possibilité de s’épanouir, brise le cycle de la pauvreté et contribue à traiter l’une des causes profondes du travail des enfants.
Les réactions que nous avons reçues de nombreux acteurs de l’industrie étaient pour la plupart hésitantes. Aux yeux de nombre de nos interlocuteurs, il n’y avait pas suffisamment d’arguments économiques pour investir dans les infrastructures éducatives, sans parler de la qualité de l’éducation. Une éducation de qualité n’avait pas un impact immédiat suffisant sur les objectifs qu’ils s’étaient fixés en matière de productivité, d’émancipation des femmes et de travail des enfants.
Cela, c’était il y a quatre ans ; je suis très fière et très humble de dire que nous avons parcouru un long chemin depuis.
Des résultats encourageants
Depuis lors, nous avons établi des partenariats directs avec 12 compagnies, 8 ministères et 20 organisations de la société civile et de recherche dans le cadre de projets communs. L’objectif est d’étendre les approches fondées sur des données probantes afin de donner aux enfants l’accès à une éducation de qualité et de promouvoir de bonnes pratiques parentales pour favoriser le développement de la petite enfance.
Dans le cadre de ces partenariats, nous avons cofinancé, avec l’industrie du cacao et du chocolat et d’autres partenaires, de nombreuses approches éducatives prometteuses contribuant à éviter le travail des enfants et à y remédier, notamment via la création des classes passerelles au préscolaire et à la formation des éducateurs, par la formation des parents en matière de développement de la petite enfance et par la formation des enseignants aux pédagogies centrées sur les besoins de l’apprenant.
Trois domaines d’intervention
Ce que nous avons observé dans de nombreuses initiatives, y compris la nôtre, était l’existence de nombreux projets isolés à petite échelle. Bien qu’ils aient souvent été couronnés de succès, ils n’ont pas été en mesure de répondre aux besoins toujours croissants. Au fil du temps, nous avons compris que pour promouvoir durablement les droits et le développement des enfants, il fallait que toutes les parties prenantes changent radicalement de mentalité et d’action. Cela comprenait surtout:
- 1. S’attaquer aux causes profondes du travail des enfants en abordant les questions de pauvreté, de santé et d’éducation ;
- 2. Concentrer les efforts sur des approches simples fondées sur des données probantes ;
- 3. Unir les forces pour travailler de manière systémique, en commençant par les zones où les besoins sont les plus pressants.
1. S’attaquer aux causes profondes du travail des enfants en abordant les questions de pauvreté, de santé et d’éducation
Le travail des enfants est un fléau qui comporte de nombreuses variables qui affectent et influencent les familles, les soignants et les choix des enfants. En cherchant le meilleur pour leurs enfants, tout en disposant de moyens souvent limités, les parents sont confrontés à des choix difficiles. Il s’agit notamment de la question de l’inscription et du maintien des enfants à l’école, qui ne semble pas toujours être le meilleur choix si l’école est trop éloignée ; les coûts indirects de la scolarité pouvant être excessifs pour le budget du ménage ou la qualité de la scolarité pouvant être insuffisante. En Côte d’Ivoire, près de 50 % des enfants n’atteignent pas le niveau minimum de lecture à l’école primaire et la perception qu’ont les parents de la qualité de l’enseignement s’est révélée être un facteur de scolarisation et de maintien à l’école.
Il faut aller au-delà de juste construire des écoles et de les équiper. Les faits nous montrent des corrélations entre l’accès à une éducation de qualité, la fréquentation scolaire et la réduction des risques de travail des enfants. Une enquête représentative menée en 2020 dans l’ensemble de la zone de culture du cacao en Côte d’Ivoire a montré que les écoles dont les classes sont moins nombreuses ou dont les taux de redoublement sont plus faibles ont des taux de fréquentation nettement plus élevés. Bien qu’il semble y avoir une meilleure compréhension de certaines corrélations et de l’efficacité de certains programmes, davantage de données sont encore nécessaires pour comprendre les liens de causalité directs entre les mesures préventives cruciales – telles que l’éducation, la lutte contre pauvreté, la santé – et la nutrition et le travail des enfants.
2. Axer les efforts sur des solutions simples fondées sur des données probantes
Les problèmes multidimensionnels et complexes n’ont pas de solutions toutes faites. Cependant, quelle que soit la complexité, l’expérience acquise à travers le monde et dans le cadre du programme TRECC nous a montré que la mise à l’échelle nécessite des solutions simples élaborées dans l’idée de soustraire des activités plutôt que d’en ajouter. Aussi efficace qu’un seul programme puisse être, car il combine tout ce que nous pensons être important et savons être efficace, comme la formation des enseignants, le soutien et le mentorat de la communauté, les Associations villageoises d’épargne et de crédit (VSLAs), le mettre à l’échelle en tant que programme entier à travers les systèmes gouvernementaux et/ou commerciaux est extrêmement difficile et complexe.
Les données mondiales montrent que seul 1 projet pilote sur 20 est effectivement mis à l’échelle et qu’il faut 10 à 15 ans pour le mettre en œuvre pour ceux qui y parviennent. L’échelle exige de comprendre non seulement si une approche fonctionne globalement, mais aussi quels sont les éléments spécifiques qui sont les plus efficaces et les plus évolutifs. Nous même victime de cette erreur, le programme TRECC s’est également engagé depuis dans un processus de réduction de ses projets. Par exemple, sur les 12 projets pilotes que nous avions lancés conjointement avec 12 entreprises de cacao et de chocolat et le gouvernement, nous n’avons poursuivi que les 6 approches les plus réussies, basées sur des évaluations indépendantes. Au fur et à mesure, nous mandatons d’autres évaluations rigoureuses pour approfondir notre compréhension des éléments clés de chaque approche afin de ne préparer au passage à l’échelle que les éléments et principes les plus efficaces par le biais de plus vastes programmes ainsi que des systèmes gouvernementaux.
3. Unir les forces pour travailler de manière systémique et dans les zones où les besoins sont les plus pressants
Enfin et surtout, afin d’amplifier l’impact, il est essentiel de passer d’une logique de projet à une logique systémique. Cela signifie qu’il faut s’éloigner des projets individuels des entreprises et des organisations et réunir les ressources et l’expertise pour travailler sur les systèmes existants. Il faut également adopter une approche globale, qui s’étend à des régions entières, plutôt qu’une approche exclusive de la chaîne d’approvisionnement, communauté par communauté et individu par individu.
Cela nous est apparu encore plus évident dans le cas de l’éducation. Lorsque nous pensons à la mise à l’échelle, par exemple, du PEC (Programme d’Enseignement Ciblé), pour améliorer les résultats de l’apprentissage, les économies d’échelle et l’efficacité ne peuvent être réalisées qu’en travaillant avec le gouvernement par le biais de son propre système éducatif. Cela permet de mettre à l’échelle de façon durable des régions entières, en atteignant toutes les écoles d’une région spécifique plutôt que des écoles individuelles dispersées dans diverses entités administratives.
Pour ce faire, une action non seulement coordonnée mais aussi conjointe est nécessaire dans le cadre d’un partenariat solide avec toutes les parties prenantes : Gouvernement, industrie, société civile et donateurs. Ce dernier point reste à mon avis le plus grand défi parmi les trois domaines qui nécessitent un changement de mentalité. Pour unir les forces, il faut une vision commune et une compréhension commune des objectifs et des principes de partenariat, une compréhension commune des besoins et des domaines prioritaires, et il faut également un niveau de confiance élevé entre tous les partenaires.
Un partenariat prometteur
Cela étant dit, de nombreux signes positifs montrent que les choses évoluent dans la bonne direction. Un exemple concret serait les discussions en cours sur un PPP complet « children first ».
Plus encourageant encore, deux initiatives de financement commun appelées CLEF et ELAN ont déjà été présentées comme une contribution concrète aux objectifs du PPP. Ces deux initiatives, dont la capitalisation cible est de 150 millions de francs suisses, visent à élargir l’accès à une éducation de qualité et à des services de développement de la petite enfance dans les zones de culture du cacao par l’intermédiaire des systèmes gouvernementaux. Elles ont déjà été approuvées par le Conseil des ministres de Côte d’Ivoire, par 14 entreprises visionnaires du secteur du cacao et du chocolat et par 3 fondations philanthropiques, et d’autres devraient les rejoindre prochainement, espérons-le. Cela montre que l’écosystème local est prêt à relever le défi et à s’attaquer aux causes profondes du travail des enfants, en se concentrant sur des approches clairement définies et fondées sur des données probantes, et en investissant conjointement dans une approche globale en commençant par les zones où les besoins sont les plus importants.
Irina Hotz est co-responsable des Learning Societies à la Fondation Jacobs. Avec une formation dans le secteur privé et un diplôme en sciences politiques et en économie, elle a dirigé les partenariats intersectoriels avec les entreprises partenaires de la Fondation en Côte d’Ivoire avant d’assumer un rôle de senior manager couvrant plusieurs pays. Basée entre la Côte d’Ivoire et Zurich de 2015 à 2019, elle a soutenu le développement local du programme TRECC et a structuré et géré avec succès ses partenariats avec le secteur privé en se concentrant sur des initiatives pour une éducation de qualité.